Jean-Claude Carrière - Bycoco

Rencontre avec Jean-Claude Carrière
Scénariste, parolier, écrivain, metteur en scène, acteur… 

L’empreinte d’une légende du cinéma, du théâtre, de la littérature…

guillemet

La simplicitée de son accueil contraste avec l’immensité du personnage qu’il incarne. On me l’avait dit ! Je suis tout même béatement étonnée.

J’avance timidement au son des cigales, guidée par un amour d’un ami barbu, bourru en surface, délibérément doux en profondeur. Je suis portée par ce désir et cette excitation retenue de rencontrer un homme qui inspire tant. Dont l’œuvre et le parcours étourdissent délicieusement.

Après avoir gravi un chemin pentu, une série de marches de pierres claires, je rencontre donc le regard brillant de Jean-Claude Carrière. Il se tient là, assis derrière ce bureau, posé comme sur une toile, dans un décor de cadres, des photos en noir et blanc que je balaie rapidement. J’aime tant l’émotion du noir et blanc. Au milieu de ces quatre murs recouverts de visages célèbres, l’homme illustre me met délicatement à l’aise. Le temps s’arrête. Je croise plusieurs regards : Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Gérard Depardieu, Romy Schneider, Carole Bouquet, Jean Paul Belmondo, … Et des images défilent en accéléré dans ma tête : La Piscine, Danton, Le retour de Martin Guerre, Belle de Jour, Le Charme discret de la bourgeoisie, L’insoutenable légèreté de l’Etre, Cyrano de Bergerac, Valmont… je devine ailleurs d’autres regards complices. Ceux-là ne sont pas « face caméra » : Louis Malle, Milos Forman, Luis Buñuel, Peter Brook, Jean-Luc Godard, Andrzej Wajda, Jean-Paul Rappeneau, Michael Haneke, Pierre Etaix. Est-ce bien eux ?… peut-être. Je cherche dans ma mémoire, je convoque en express mes souvenirs… leurs noms résonnent cinéma, théâtre, mais leurs regards me sont moins familiers. S’ils sont accrochés ici, cela a forcément du sens. La réponse ne tarde pas à venir. Jean-Claude Carrière déroule l’histoire. C’est un formidable conteur, je ne l’oublie pas. Au fil des cadres noirs suspendus, ce sont ainsi ses 19 années de collaboration avec Luis Buñuel avec lequel il s’isolait pour travailler, là encore l’amitié avec Louis Malle, sa relation particulière avec Milos Forman. Ce dernier a d’ailleurs logé ici, à Colombières-Sur-Orb pendant quelque temps. Tous ont compté au point d’être rassemblés ici dans son refuge. Certains ont tiré leur révérence. A l’évocation de leur disparition, son regard s’assombrit et puis, comme s’il s’agissait d’un projet pour plus tard, Jean- Claude Carrière vous désigne sereinement le lieu, à 250 mètres de là, où il sera couché au moment venu. Et je pense alors silencieusement à ces éléphants majestueux qui reviennent à l’endroit exact où ils sont nés.

Jean-Claude Carrière - BycocoCette famille de cinéma, de théâtre, de littérature qui entoure ici Jean-Claude Carrière témoigne de sa vie incroyable, remplie de rencontres extraordinaires, d’écriture de scenarii, de livres, de recherches historiques ou scientifiques. Dessinateur, illustrateur, conteur, dramaturge, metteur en scène, parolier, traducteur, Jean-Claude Carrière n’est pas l’homme d’un seul métier ni même de deux… il touche à tout avec l’appétit – que dis-je ! – la boulimie calme des passionnés. Il est, il le dit et je le crois, amoureux du travail.

Fils de viticulteurs, il se dit aussi à l’aise dans des activités plus manuelles. Traire une chèvre, monter des murs en pierres sèches, ou labourer une terre comptent parmi les cordes de son arc. Etonnant, je vous le disais.

Sa curiosité fait de lui un être à part. Imprégné de culture orientale, il connait l’Inde. Son 47ème voyage dans ce pays aux multiples facettes qu’il explore depuis des années, il l’effectue d’ailleurs sans surprise au mois de mars 2018 dans l’avion de la présidence de la République.

C’est d’ailleurs en Inde, à Dharamsala que Jean-Claude Carrière a côtoyé sa sainteté le Dalai Lama, avec sa seconde femme, spécialiste du bouddhisme et des langues et civilisations orientales. Des conversations autour de la planète, de l’éducation, de la violence … à relire dans la « Force du bouddhisme : mieux vivre dans le monde d’aujourd’hui » …  Je vous l’ai dit, étourdissant !

Ce parcours de géant est reconnu et salué par ses pairs comme par le grand public. Son livre, La Controverse de Valladolid, est étudié en classe par des milliers de lycéens et joué chaque jour quelque part dans le monde. En 1983, il obtient le César du meilleur scénario pour Le Retour de Martin Guerre.

Le chapitre des distinctions et des récompenses serait trop long mais plusieurs films auxquels il a collaboré ont obtenu par exemple un Oscar : Rupture (pour le Court Métrage) ; le Tambour et le Charme Discret (pour le Meilleur film étranger ). En 2014, c’est un Oscar d’Honneur qui vient consacrer la carriere du scénariste (trois français seulement ont eu cet honneur depuis la guerre). Coté Palme d’Or les films : Le Tambour, comme le Ruban Blanc sont récompensés. Un Lion d’or encore à Venise pour Belle de jour … Et le chapitre des Prix ne se referme pas car cette année deux de ses derniers travaux seront présentés dans des festivals Internationaux parmi lesquels les ultra glamour : Cannes, Deauville, mais aussi Berlin, Toronto. Souhaitons- lui donc d’autres grands succès.

Insatiable et généreux Jean-Claude crée en 2005, avec Carole Bouquet, Gérard Depardieu et Sophie Rigon, le Festival « Un Réalisateur dans la ville » qui se tient chaque année en été à Nîmes et braque le projecteur sur le travail d’un réalisateur. Ce qui ne l’empêche absolument pas de continuer de présider à Montpellier depuis 30 ans, le Printemps des comédiens, un festival de théâtre. Une calme boulimie de travaille en effet !

Notre conversation file au rythme des clics de mon appareil photo qui capte la lumière d’un homme qui rayonne sans chercher à briller. Alors que la conclusion de cette rencontre s’amorce tranquillement, comme un rebondissement théâtral, une femme entre en scène les bras chargés de paniers. Solaire, souriante. Nahal Tajadod, son épouse, revient du marché. Elle me plait déjà ! cela ne s’explique pas. L’écrivaine d’origine iranienne issue d’une famille d’érudits est l’auteure entre autre de « Mani le Bouddha de Lumière », de « Passeport à l’iranienne », « Sur les pas de Rûmi » et plus récemment de « Elle Joue ». Un roman qui raconte l’Iran depuis les années 1970, à l’époque du shah jusqu’à nos jours et consacre à l’écran l’actrice Golshifteh Farahani, bannie de son pays pour avoir tourné dans un film américain et posé pour le photographe Jean-Baptiste Mondino.

Comme une évidence, Nahal semble illuminer cet antre paysan cher à monsieur Carrière. C’est d’ailleurs Nahal qui a eu l’idée des photos dans ce bureau. Un cadeau qu’elle lui fait peut-être pour mieux entourer son amoureux de regards bienveillants, de souvenirs émouvants, et de l’essentiel : d’une belle humanité. Jean-Claude Carrière sourit et les au-revoir prennent des allures d’amis de longue date qui se quittent joyeux, heureux. Merci.