Rencontre avec l’Artiste Lolita Tergemina

Rencontre avec l’Artiste Lolita Tergemina

Elle met en scène les Emigrés

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Parlez-nous de votre actualité ; de cette pièce du Polonais Mrozek « Les Emigrés » que vous avez choisi de mettre en scène ?

Les Emigrés se joue au Théâtre du Grand Marché, où je suis artiste associée depuis janvier 2017. La Première a eu lieu ce jeudi 08 février.
J’ai découvert cette pièce, il y a 4 ans. Elle m’avait accrochée par son titre déjà et le thème abordé fait écho à la situation des migrants de part le monde a fortiori dans l’Océan Indien.
Faire du théâtre est un acte qui engage. Il engage la parole mais aussi la voix et d’ailleurs ce n’est pas le fruit du hasard si la compagnie que je dirige s’appelle SAKIDI.
Ce texte m’a beaucoup interpellée sur ma situation personnelle. J’ai quitté la Réunion en 2000, j’avais alors 22 ans, pour aller apprendre le métier de comédienne. J’ai moi même vécu cet arrachement à mon île, à ma famille. Ce fut une sorte de déracinement culturel, social et économique et la question du retour au pays est toujours présente : rentrerai-je un jour ? Pourquoi suis-je réellement partie ? Pour être reconnue ? Pour fuir quelque chose ?
Sur scène, deux hommes partis de leur pays d’origine pour venir s’échouer dans un « ici » étranger. Pour XX, interprété par Jean-Laurent Faubourg, il est de passage et veut se faire de l’argent en travaillant comme une bête pour ensuite retrouver femme et enfants. Pour AA, interprété par David Erudel, il est question d’asile politique, et il cherche la voie du bonheur avec son rêve de changer le monde. Un huis-clos entre deux hommes qui confrontent leur vie où se conjuguent espoir et désespoir.
La pièce se bonifie de soir en soir avec deux acteurs qui se livrent corps et âme dans une bataille physique et psychique.

Quel est le regard de la femme réunionnaise moderne que vous incarnez sur ce désir de partir, de s’éloigner ? Une quête du bonheur ailleurs ?

Rencontre avec l’Artiste Lolita TergeminaS’agit-il d’abord d’un désir où d’une sorte d’obligation ? C’est un des personnages qui précise que l’on fuit bien quelque chose ! Mais pour trouver quoi ? Mirage ou eldorado ? J’ai cependant la conviction que l’insularité peut être étouffante et qu’il est bon de courir le vaste monde. Le voyage cependant ne peut-être beau que s’il est de l’ordre du choix, du désir, pour ne pas retrouver une prison qui nous enferme sur nous-même sans pouvoir nous ouvrir sur l’autre. Une quête du bonheur ? oui, ici ou ailleurs.

Dois t-on renoncer à sa culture, à ses attaches pour réussir cette quête ?

Souvent le prix de l’intégration dans un « ailleurs », c’est malheureusement le renoncement à sa culture ou c’est alors la contrainte de la vivre d’une manière cachée. C’est toute la question de la capacité des humains à être dans le partage qui est posée. Il n’est pas facile, loin de là, de faire de cet adage, qui dit que ma différence enrichit l’autre, une réalité ; mais quand nous partons, partons avec cette idée que nous sommes riches de nous-mêmes, que nous avons à donner et à recevoir avec la fierté de dire que l’on peut apporter au monde comme le monde peut nous apporter.

C’est une pièce pour qui ? Quel type de public ?

C’est une pièce qui peut être vue par tous, y compris le jeune public (plus de 12 ans). Il y a plusieurs niveaux de lecture et c’est ce que j’aime dans le théâtre : ne pas être didactique mais incarner la vie avec corps et émotion. On ne fait pas la leçon ; on livre au public une tranche de vie, et je fais en sorte, en dirigeant mes acteurs, de restituer le plus possible des émotions vraies, comme si nous étions dans la vraie vie. On dit souvent qu’un bon acteur doit savoir mentir de manière magistrale sans que personne ne s’en rende compte. La sincérité est le pilier de notre métier d’acteur. Et cette pièce peut, doit nous parler ! Qu’on soit parti de l’île ou pas, qu’on veuille partir ou rentrer, il s’agit de se questionner sur nos choix et surtout sur notre liberté. J’avoue que je me suis nourrie d’anecdotes personnelles mais je pense que chacun se retrouvera à un moment ou à un autre dans les Emigrés, on est tous de quelque part !

Travailler avec des personnes qui vous connaissent très bien, est-ce important ?

David et Jean-Laurent sont des comédiens talentueux que je connais depuis longtemps et qui m’ont fait l’honneur d’accepter de jouer dans cette pièce. C’était pour moi un challenge, en tant que metteur en scène d’avoir ces deux artistes qu’on ne présente plus. Il se trouve que je me suis entourée de personnes dévouées, d’une équipe d’hommes. Je dis souvent que la réussite d’un projet, quel qu’il soit est avant tout affaire de collectif. J’ai eu des moments de pure solitude face à mes comédiens, de doute, de remise en question, mais je n’ai jamais douté d’eux, de la force de notre travail et de notre capacité à être ensemble. Je suis aussi fière en tant que femme réunionnaise de mener ce projet, de diriger une équipe et une compagnie. Le respect nous lie. Ils m’ont fait confiance et je sais qu’ils sont fiers de servir cette pièce du haut de leur talent.

Pouvez-vous partager votre expérience, votre parcours d’artiste ?

Rien ne me prédestinait à devenir une artiste, une comédienne.
J’ai perdu ma mère à l’âge de 1 an, donc encore bébé. Mon père m’a élevée, avec ma sœur ainée de 3 ans. Il a fait tout ce qu’il a pu pour nous assurer le minimum ; il travaillait beaucoup. Mon enfance n’a pas été très heureuse mais j’avais en moi une détermination : échapper à la fatalité du destin. Coute que coute je voulais rompre la chaine familiale. C’est en partie pour cela, de manière certainement inconsciente que j’ai pris la voie de l’artistique. Certainement pour dire ma douleur, ma rage, ma souffrance ; certainement pour faire ressortir tout ce que je ne pouvais pas expulser dans la vraie vie… Alors j’ai osé dire un jour à mon père que je voulais faire du théâtre ! Je l’ai fait à son insu et tout s’est enchainé ; je me suis inscrite au CRR de Saint-Denis, j’ai suivi des stages et j’ai rencontré beaucoup de monde, dont Jerzy Klesyk, mon mentor qui m’a, à l’époque, poussée à passer les concours des grandes écoles. J’ai tenté L’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et des Techniques du Théâtre Lyon) et j’ai été retenue sur 600 candidats : nous étions 12 à avoir eu la chance d’intégrer cette prestigieuse école.

3 ans d’études et retour dans l’ile où j’ai beaucoup travaillé. Il y avait en moi l’envie de ne pas « dépendre », et surtout exercer ma liberté me paraissait plus que jamais nécessaire dans mon travail. Alors je me suis lancée dans la création de la Compagnie SAKIDI … 13 ans déjà…

EN PRATIQUE

Les Emigrés de Slawomir Mrozek
mise en scène Lolita Tergémina
Cie Sakidi

Les futures dates
JEU. 15 FÉVRIER 19.00 au Théatre du Grand Marché
VEN. 16 FÉVRIER 20.00 au Théatre du Grand Marché
VEND 23 FEVRIER à Stella Matutina à Saint Leu


Distribution

TEXTE : Slawomir Mrozek

TRADUCTION : Gabriel Meretik

MISE EN SCÈNE : Lolita Tergémina

AVEC : David Erudel et Jean-Laurent Faubourg

PRODUCTION : Compagnie Sakidi

COPRODUCTION : Centre Dramatique de l’océan Indien / Cité des Arts

ADMINISTRATION : Anne-Marie Tendil

SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES : Bruno De Lavenère

CRÉATION LUMIÈRE : Nicolas Henri

TECHNIQUE : Charley Collet

SON : Christophe Martin

CONSTRUCTION DÉCORS : Gildas Cotonéa

VISUEL : Hippolyte