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Rencontre avec Bouchera Azzouz

Écrivaine, réalisatrice 

guillemet

Vous avez participé il y a quelques jours, en tant que jury des Trophées des Femmes précieuses à récompenser des parcours de femmes réunionnaises. C’est un acte important pour vous ? 

Mettre en avant les femmes dans leurs engagements est évidemment une chose importante. Cela permet de mettre en lumière des femmes qui bien souvent n’ont pas conscience que ce qu’elles font, dans l’ombre et l’anonymat est important pour beaucoup d’autres femmes. Cela participe à ériger des modèles identifiants et de fait, d’encourager partout des initiatives fussent-elles modestes.

Le trophée que vous avez remis est celui de « Femmes précieuses Ecole de la deuxième chance » il semble avoir un écho particulier pour vous… une symbolique plus forte que les autres ? 

En effet, c’est pour moi un prix particulier parce qu’il récompense une femme peut-être un peu plus méritante que les autres. Une femme qui, parce qu’elle est issue d’un milieu défavorisé, parce qu’en plus elle cumule les difficultés sociales, familiales, personnelles, doit déployer une énergie, une envie, une volonté hors normes pour s’en sortir et retrouver le fil de sa vie. J’ai eu beaucoup d’émotion à lui remettre le prix, parce que je lisais dans son regard ce qu’elle ne disait pas, l’immense satisfaction d’être arrivée au bout d’un parcours dont elle est la seule à connaitre la difficulté et les sacrifices consentis pour y arriver. Et cela me touche profondément. Elle incarne ce féminisme « populaire » que je tente de porter, un féminisme de bout de chandelles, de débrouille, d’urgence…un féminisme « à l’arrache ». C’est le féminisme du quotidien de millions de femmes de par le monde qui se battent avec très peu de moyens pour mettre en place, à l’échelle de leur vie, des stratégies de contournements, pour essayer de se frayer leur propre chemin d’émancipation. Je crois que si l’on évalue le degré de développement des sociétés à la place des femmes, je dirais que cette place est davantage à mesurer au niveau de cette frange invisible de la population, ces femmes en situation de relégation sociale, ces femmes qui savent qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, sur la solidarité invisible qu’elles organisent, pour se libérer des oppressions sociales, culturelles, religieuses ou familiales.

Le documentaire « Nos mères, nos daronnes » que vous avez réalisé est labéllisé par l’éducation national, (diffusé sur France 2 le 21 avril 2015, puis rediffusé sur LCP et France Télévisions, ainsi qu’en Belgique, au Canada, au Maroc sur une grande chaine nationale…)  Cela signifie aussi qu’il devient une référence, un support pédagogique. Quels sont les grands messages que vous voulez transmettre et poser en débat chez les jeunes en particulier ?

L1001057-webTout d’abord ce film que j’ai écrit, je l’ai co-réalisé avec Marion Stalens. C’est un film à 4 mains. Je pense que c’est la première fois qu’un film explore la génération de nos mères du point de vue de leur expérience de femmes, plus que de leurs origines. Je voulais montrer que quelles que soient nos origines, nos croyances, les femmes, en particulier dans les années 70 en France, étaient toutes percutées par la question de l’accès à la contraception et à l’avortement. Tout à coup, on fait tomber toutes les barrières érigées depuis des décennies, qui séparaient injustement les femmes en fonction de leurs origines. Implicitement ce film montre que le combat des femmes est porteur d’universel et d’humanisme. Et de façon plus ambitieuse, je pense que c’est dans le féminisme qu’il faut aller chercher les nouvelles dynamiques universelles et humanistes dont nous avons besoin aujourd’hui, à l’heure du repli identitaire et des crispations qui nous traversent.

J’ai été ravie que l’Education nationale propose ce film dans le catalogue « eduscol ». Les enseignants du secondaire peuvent ainsi proposer des projections-débatsautour du film. Il me semble très important de transmettre aux jeunes générations la mémoire de ces luttes invisibles portées par leurs grands-mères. Le progrès des consciences est le fruit de batailles menées à l’échelle de vies, fussent-elles modestes. L’histoire n’a retenu que les grandes luttes féministes, et les grandes figures, comme Simone de Beauvoir, Antoinette Fouques, Simone Veil, mais nos mères nos daronnes, sont les héroïnes du quotidien, et il ne faut pas mépriser leur mémoire ni minimiser cet héritage.

Vous envisagez un projet avec des femmes réunionnaises, vous pouvez nous en dire davantage ?

J’envisage une série documentaire de 52’ qui serait un tour du monde du féminisme populaire. Un outil formidable, inédit et unique qui nous permettrait de balayer à l’échelle du monde la situation, les difficultés et les aspirations des femmes. Pourquoi ne pas tourner le pilote à La Réunion? J’ai déjà mon premier personnage, Stéphanie Turpin à qui j’ai remis le prix de la Femme précieuse pour l’École de la deuxième chance !

Quel est le rôle des femmes dans la lutte contre la radicalisation, sujet particulièrement sensible ?

Lorsque j’étais en poste dans le cabinet de la ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Laurence Rossignol, nous avons mené une concertation inédite auprès des femmes des quartiers populaires de toute la France. C’était la première fois qu’une ministre en fonction lançait une mobilisation de cette ampleur. Ce qui est à saluer.  Cette concertation a permis d’avoir une idée fondée sur la participation de plus de 150 femmes engagées sur l’ensemble du territoire et ainsi de dépasser les points de vue personnels érigés au gré de l’actualité et des faits divers. Ce qui est apparu, c’est que le fondamentalisme religieux est un facteur à prendre en compte aujourd’hui comme un frein à l’émancipation des femmes, mais aussi comme une contrainte de vie au quotidien. La dynamique émancipatrice des femmes est un moteur puissant sur lequel nous devons adosser des politiques publiques ambitieuses pour permettre aux femmes de lutter contre les forces rétrogrades. On en revient encore une fois à cette idée d’un féminisme populaire qui considère que les femmes sont les actrices de la transformation des quartiers et,plus encore, les seules capables d’opposer une force de progrès par leurs luttes émancipatrices intrinsèques.

Réalisatrice, écrivaine, votre influence est salutaire. Vous en êtes consciente ?

Très honnêtement je ne sais pas si mon travail influence. Ce que j’observe, c’est que les militantes comme moi qui œuvrent à l’intérêt général et qui essaient d’agir avec peu de moyens mais beaucoup de détermination, ne sont pas très soutenues et restent peu visibles dans l’espace médiatique. Nous sommes porteuses d’une troisième voie, une voie d’équilibre, mais qui n’alimente pas le spectacle médiatique, lequel encourage plutôt les clivages. Mais je suis convaincue que nous devons tenir notre ligne, continuer à travailler sans relâche car au final c’est cette voie, celle qui mise sur les femmes, qui l’emportera. L’histoire l’a montré, le féminisme comme lutte politique fait partie des mouvements « révolutionnaires » capables de renverser l’ordre naturel et réformer structurellement les sociétés. Dans aucune école militaire l’on apprendra les stratégies de ces luttes, de ces guerres sans généraux. Pourtant, nous sommes la plus grande armée du monde et nous continuerons à mener nos combats et à changer nos sociétés pour les rendre plus justes, plus égalitaires, plus écologiques, plus pacifiques. Nous n’avons pas besoin de médailles militaires pour nous enorgueillir de nos victoires. Notre récompense : faire avancer de par le monde la liberté pour toutes !!!

 Les liens entre mère et fille restent en fil conducteur ? C’est toute votre histoire ?

J’ai marché sur les pas de ma mère. Cela ne veut pas dire que je suis dans une forme de soumission docile, mais j’ai conscience de ce qu’elle a gagné à la mesure de son champ culturel et intellectuel. J’ai à mon tour fait évoluer ma condition, à ma mesure, et j’espère que ma fille ira à la conquête de sa vie, se libérant des contraintes dont je n’ai pas forcément conscience mais que je lui impose. Une mère veut et croit toujours bien faire….

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Mini bio 

Réalisatrice & écrivaine, Azzouz Bouchera est co-auteur avec Corinne Lepage des « Femmes au secours de la République » (Éditions Max Milo); co-auteur avec Caroline Glorion de « Fille de Daronne et fière de l’être » (Éditions Plon); auteur du documentaire « Nos mères, Nos daronnes » labéllisé par l’Éducation nationale; auteur d’un documentaire en cours d’élaboration sur les femmes de La Réunion, qui sera diffusé sur une grande chaine française (!).

Son tout premier documentaire coréalisé avec Marion Stalens, « Nos Mères, Nos Daronnes », retrace la vie de sa mère et ses amies du quartier de l’Amitié à Bobigny depuis le début des années 70 jusqu’à aujourd’hui. Pour la première fois, ces « daronnes » racontent leur vie de femmes.

Son prochain documentaire pour France 2 s’intitule « On nous appelait beurettes ». Il raconte les luttes invisibles menées par les filles maghrébines de la 1ère génération née en France. A la fois dans les familles pour conquérir leur liberté, mais aussi dans la société pour accéder à la citoyenneté.

Les années 80 ont retenu la Marche des Beurs, il reste aujourd’hui une mémoire au féminin qui doit être racontée une mémoire nécessaire et essentielle pour comprendre le rôle des femmes dans les quartiers.